The feelings got lost in my lungs (r)

Citation :

“ Shyness has a strange element of narcissism,
a belief that how we look, how we perform, is truly important to other people.

Le soleil s’était à peine levé qu’on pouvait déjà discerner une silhouette courir le long de Coney Island. Des écouteurs sur les oreilles, la silhouette court comme si sa vie en dépendait, ne s’arrêtant que deux heures plus tard, une fois que ses muscles étaient assez endoloris pour oublier tout ce qui pouvait la faire souffrir. C’était devenu un rituel, sa dose quotidienne d’adrénaline pour se souvenir que son cœur était toujours en vie et qu’aussi ankylosé qu’il l’était, il continuait de battre malgré tout. Ces derniers temps, elle a le sentiment un peu étrange d’être comme extérieure à son corps, comme si elle était dans une salle de cinéma, assise au fond en train de regarder un film interminable, à attendre que quelque chose se passe, sans pouvoir pousser le personnage principal à sortir de sa torpeur pour agir enfin. Pourtant, elle continue de sourire à la vie. Elle essaye de la croquer à pleines dents, comme elle avait l’habitude de le faire, mais c’est plus difficile maintenant qu’elle se sait humaine, prompte à commettre les pires erreurs, apte à souffrir comme ces idiotes de romans qui tombent amoureuses. Elle, elle aurait bien aimé ne jamais tomber amoureuse. Elle aurait bien aimé se croire invincible encore quelques temps. Mais maintenant, elle sait. Elle n’est qu’une petite chose fragile, qui s’offre à des personnes prêtes à la briser avec un sourire en coin.

Elle continue de se voiler la face malgré tout. Au fond, elle se sent bien dans cette vie. Elle s’est confortablement installée. Elle s’est habituée à cette douleur dans sa poitrine, à ce sentiment de ne jamais être assez, à cette impression de n’être importante pour personne. Son cœur s’est mis en pause et ça lui convient. Elle continue de sourire, malgré tout. Elle rit aux éclats même, mais l’envie n’est plus là. Sa vie est devenue fade et sans saveur. Elle avait eu le malheur de devenir vulnérable et désormais, elle n’était que cette petite fille, qui tentait de survivre dans un monde un peu trop grand pour elle, effrayée à l’idée de disparaitre, sans qu’on ne remarque son absence. Assise sur la plage, elle laisse les vagues venir s’écraser contre ses pieds nus et se surprend à envier la mer, qui ne demande jamais rien à personne. Qui prend tout ce qu’on lui offre, sans jamais demander son dû. Elle aimerait bien être comme ça elle aussi. Allie, elle aimerait bien accepter ce que la vie lui offre, sans jamais demander plus, mais c’est pas son genre à Allie. Elle, elle veut plus, toujours plus. On lui offre un baiser, elle veut une nuit. On lui offre une nuit, elle veut le petit déjeuner. On lui offre un petit déjeuner, elle veut une vie entière. Mais elle veut changer et se promet que ce soir, elle se laissera aller, sans penser aux conséquences qui l’empêche de s’amuser vraiment. Elle va cesser de se poser des limites et laisser son petit cœur affolé s’envoler. C'est forte de cette conviction qu'elle s'installe au bar du Comets Club avec sa petite robe noire cintré qui fait tâche dans cet endroit. Mais pourtant, les regards envieux se posent sur elle, parce que si Allie n'est pas la fille à la mode, Allie est classieuse et tout le monde rêve de souiller son innocence. Pourtant, ce soir, son innocence, elle veut l'effacer. Elle veut repousser ses limites et il n'y a qu'un seul garçon pour l'aider dans ce petit jeu qu'elle s'est imposé.  « Salut. » Elle aurait aimé dire quelque chose d'autre, quelque chose avec de l'esprit, quelque chose d'aguicheur, quelque chose, qui donne envie de plus, mais Allie elle sait pas faire ça. Allie, elle sait être polie, douce et patiente, mais être inoubliable, ça non. « Je sais que ça a pu te paraitre bizarre mon coup de téléphone, mais j'ai vraiment besoin de ça, alors ne me juge pas s'il te plait. » qu'elle déblatère à 100 à l'heure. « Voilà, j'ai une liste de choses à faire. Et j'ai besoin de ton aide, parce que toi... Toi tu sais t'amuser. »

Malgré un désolant changement de décor, la vie de Charles s'apparentait toujours à une fête perpétuelle. Une frénésie de sensations, de couleurs vives, de musiques assourdissantes et de corps nus emmêlés dans une valse entêtante dont l'unique but était de le divertir, quand bien même ce fut vain. Il ne demandait rien de plus que consommer jusqu'à se consumer, tromper l'ennui et la lassitude d'un gosse de riche désabusé, conscient qu'à force de tout avoir, trop vite, plus rien ne possédait de saveur. Et pourtant depuis trois ans, la fadeur de sa vie était revenue le frapper comme un boomerang. Si Charles s'ennuyait à Manhattan et multipliait les excès simplement pour s'extirper de ce carcan désintéressé et désenchanté qui était le sien, il dépérissait à Brooklyn. Parce qu'ici, il découvrait le sens du mot limites, celui que lui imposait son absence de fric. C'était l'ironie du sort, d'ailleurs. Plein aux as, il méprisait l'argent et savait que ça ne changeait pas la donne. Qu'il n'était pas plus heureux parce qu'il lui suffisait de claquer des doigts pour obtenir quoi que ce soit et que l'opulence ne suffisait pas. Charles était un insatisfait notoire, qui désirait profondément quelque chose sans pour autant comprendre ce qui lui manquait. Que pouvait-il lui manquer alors qu'il possédait tout ? Bonne question. Pour autant, il était souvent étreint de ce spleen Fitzgeraldien, celui d'une génération perdue enfoncée jusqu'au cou dans la frivolité et qui derrière les sourires éclatants, souffre d'un spleen teinté de frivolité que personne ne comprend. Dorénavant sur la paille, Charles comprenait qu'il n'avait été qu'un sale gosse gâté, trop égocentrique pour river son regard aiguisé ailleurs que sur son vénéré nombril. Pour autant, il n'était pas devenu meilleur, loin de là. Au contraire, la frustration d'un monde qui le rejetait en bloc attisait ses mauvais côtés et accélérait ses vices. Charles sortait plus, mentait davantage, consommait de façon plus frénétique encore et s'enfonçait dans une débauche qui ne lui apportait rien d'autre qu'une maigre satisfaction d'un instant, effacée aussi vite qu'elle apparaissait. Pour autant, Charlie ne freinait pas le rythme parce que c'était plus facile de s'entourer de fêtards inconséquents, de ne connaître rien d'eux et de refuser de se lier à quiconque. Allie, c'était différent. Petite soeur de son ancien meilleur ami - aka le plus gros baiseur de l'Upper East Side -, il l'avait toujours considérée avec une tendresse et un respect qu'il n'accordait à personne, et certainement pas à une femme. Elle, c'était pas une fille, un corps désirable ou des courbes enivrantes qu'il désirait posséder pour la soirée. Elle était au-dessus, élevée sur un piédestal intouchable, inatteignable dans son innocence et son physique précieux. Charles n'aurait jamais ne serait-ce que pensé à la toucher parce qu'elle était chasse gardée, celle de son ami et qu'il fut un temps lointain où il savait estimer et apprécier l'amitié. Mais le pote s'était bien gardé de fréquenter un type honni par le gratin de Manhattan et un banal crochet du droit mit fin à des années de complicité. Allie, elle, restait. Il ne savait ni pourquoi, ni comment mais elle était l'unique élément stable de sa vie et le seul qu'il ne détruisait pas consciemment. C'est pourquoi il n'hésita pas à la rejoindre, même si l'idée de la retrouver au Comets lui paraissait aberrante. C'était pas elle, ce genre d'endroit. Elle jurait avec son raffinement de petite poupée sage et sa robe cintrée nettement trop élégante pour le club. Lui aussi, détonnait avec sa silhouette impeccable et les fringues trop luxueuses auxquelles il se raccrochait comme un unique vestige d'un passé envolé. Mais ça lui donnait l'air d'un petit con arrogant et désabusé et Charles ne s'en cachait pas : ça n'était après tout rien que la vérité. « Aucun jugement. » lui accorda-t-il de son ton nonchalant, accrochant un rictus à ses lèvres tandis que ses yeux insondables coulaient sans détour sur son visage de porcelaine. Le barman lui servit instantanément un scotch, apparemment connaisseur de ses goûts d'habitué et Charlie commanda un verre de vin blanc pour Allie, doux et moelleux. Comme elle. Il l'écouta déballer la raison de sa venue, précautionneuse et polie comme seule elle savait l'être, et hocha lentement la tête, jaugeant mentalement la détermination de la blonde. « Pourquoi ? » s'enquit-il posément avant d'ancrer ses yeux d'un bleu électrique dans les siens. Qu'est-ce qui pouvait bien motiver cette envie de changer ? Allie n'avait rien du cliché de ce genre de fille qui cherche une contenance impossible à trouver dans des actions idiotes. Elle était au-dessus de ça, plus posée, plus sereine aussi. Mais quoi qu'elle chercherait, il s'engagerait à lui fournir. Parce qu'avec son minois de poupée fragile et ses grands yeux tristes, il n'avait jamais rien su lui refuser. « Montre-moi cette liste princesse, je vais voir ce que je peux faire pour toi ce soir. »